I was banging on the piano when my mom died. No one told me about death. I just wanted to leave Rock Hill and never come back. I was 3 years old.
Sam – Montgomery, AL – Avril 2017
Il avait dans le regard les images du passé et ce le léger sourire, apaisé, d’un homme qui évoque l’amour pour sa mère. Dans le silence qu’imposait le souvenir de la mort, il avait répété, tout bas et à plusieurs reprises, “Mama”. Pendant un court instant, je n’existais plus. Il partageait avec lui-même et pour lui-même l’affection, le souvenir d’un visage, les restes d’un parfum.
En 2012, je m’installe en Caroline du Nord (Etats-Unis) et intègre l’équipe de la Music Maker Relief Foundation, une organisation à but non lucratif dont l’objectif est de soutenir des musiciens de Blues en situation de précarité en leur procurant tout ce dont ils ont besoin pour vivre dignement de leur musique. Je me lie alors d’amitié avec de nombreux musiciens et musiciennes soutenus par la fondation, que j’accompagne aussi bien sur scène, comme guitariste, que dans leur quotidien. Je sillonne le Vieux Sud, de la Caroline du Nord à la Louisiane, joue dans de vieux juke joints et traine dans les drink houses où on consomme de l’eau de vie de maïs à un dollar le verre.
Au fil des ans et de nombreux allers-retours, je noue des relations quasi-filiales avec de nombreux musiciens : Captain Luke, Big Ron Hunter, Alabama Slim ou encore le pianiste Ironing Board Sam. Victime d’un AVC en 2015, Sam doit brutalement mettre un terme à cinquante ans de carrière musicale. Je lui rends régulièrement visite dans son appartement de Montgomery, devenu pour moi, le temps de quelques étés, le centre du monde. Quand je ne loue pas de chambre dans un motel de l’Eastern Boulevard – où je transforme la salle de bain en laboratoire photo éphémère – je dors aux pieds de son lit, sur une couchette improvisée. Je fais ses courses, le rase, et tente de documenter, dans l’urgence du présent, la beauté et la richesse d’une vie passée consacrée à la musique.
Ces photographies sont ma façon de rendre à ces artistes un peu de ce qu’ils m’ont apporté, en donnant à voir ce qui ne peut parfois plus être entendu, en leur assurant une forme de reconnaissance, au-delà de la langue et des frontières et en confrontant un romantisme folkloriste très souvent associé au Blues à une pluralité de réalités sociales, humaines et politiques. Ce travail, fruit de longs séjours passés dans le sud des Etats-Unis, s’inscrit au coeur du processus universel de la transmission, cher à mes yeux, dans un jeu de miroir en noir et blanc, entre deux générations et deux cultures.



























