Abdelhay Mellakh

« Si mon corps est à Casablanca, mon esprit est depuis toujours resté à Marrakech, où je suis né. Tout chez moi est en lien à l’enfance. Les couleurs, les douleurs, les rêves. C’est ce qui nourrit ma peinture, si bien que me détacher d’une toile lorsqu’elle est vendue est toujours très difficile, comme un déchirement. »

Abdelhay Mellakh – Casablanca, 2021.

Je dois ma rencontre avec le peintre marocain Abdelhay Mellakh à celle de nos souvenirs d’enfance. Les siens d’abord, dont il s’évertue à traduire l’imaginaire depuis plus de quarante ans et desquels je m’ennivrais dès mon arrivée à Marrakech, dans les ruelles du quartier Mouassine. Les miens ensuite, perdus aux confins d’une mémoire olfactive colorée qu’éveillèrent, en un instant, les effluves de peintures acrylique. La gamme chromatique utilisée par le peintre me renvoya à la peinture de mon père, et peut-être d’avantage à celle de mon grand-père, dont l’atelier chargé de l’histoire familiale me fascina une grande partie de ma jeunesse. Ce grand-père franco-libanais, né à Heliopolis, dans la banlieue du Caire, qui peignait des couleurs odeur de sable, de pastel et de clair de lune. L’œuvre de Mellakh érigea en moi un pont entre une Egypte, celle de mon grand-père, fantasmée par la transmission mémorielle et un Maroc sublimé par l’œil et la main de l’artiste originaire de la ville rouge. Un pont long de quelques 4500 kilomètres et vieux de plusieurs décennies.

Ainsi, à la valse des souvenirs de chacun succéda le partage de quelques après-midi dans son atelier de Casablanca. Abdelhay Mellakh semblait peindre pour lui, baigné d’une lumière blanche de printemps, bercé par les programmes radio et la rumeur qui nous parvenait de la rue. Le temps paraissait s’étirer, et peut-être devais-je cette sensation aux nombreux portraits et souvenirs qui ornaient les étagères de la pièce. Les regards de toute une vie se posant sur nous brouillaient les frontières du temps, qui ne devait plus son rythme qu’aux coups de pinceaux du maître.

Dans la langueur d’une atmosphère propice à la contemplation, Mellakh me confiait son besoin de « rester en méditation et de créer un contact spirituel avec l’œuvre, comme un lien à conserver ». Candidement, je l’interrogeais sur le rapport qu’entretenait sa peinture avec le soufisme. Sa réponse amusée vint consolider l’image que j’avais pu me faire de lui, celle d’un homme d’une sincérité limpide et d’une sage clarté. Il me fit donc part de ce « partage d’amour, d’amitié et de confiance entre les êtres humains » qui constitue pour lui un fondement du soufisme, perçu comme « une satisfaction intellectuelle et sentimentale qu’on ressent au plus profond de soi, mais qu’on ne voit pas ». Il avait ensuite poursuivi son travail, inspiré et silencieux.

L’écho né de cette rencontre résonna en moi longuement. Le travail du peintre avait révélé, avec force et lumière, un champs intérieur de sensations. J’avais éprouvé physiquement et consciemment, pour la première fois, le pouvoir d’une œuvre. Je me permets d’emprunter quelques mots à l’écrivain Abdelhak Najib, qui dit de la peinture de Mellakh qu’elle « entre en collision avec d’autres géographies humaines ». Je ressens à l’écriture de ces paragraphes une très grande reconnaissance envers l’écrivain pour ces mots et envers le peintre pour ses tableaux, qui m’ont permis de découvrir de nouveaux horizons sur les terres fertiles et sans frontières de l’art, de la mémoire et des rêves.

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