C’est une histoire d’eau et de soleil. Une histoire d’amour, de désir et d’absence. C’est une histoire du vide et du plein, de l’avant et de l’après. Une histoire contée par le feu de quelques instants suspendus, à l’âge d’un prénom d’été, où l’ombre des souvenirs brûle davantage que la lumière des rêves.
Aux premiers jours d’été devait s’ériger en moi une frontière, qui me parut infranchissable. Je vécus un troublant désaccord dans ma temporalité, un dédoublement de l’être en une âme souvenir et une âme rêve. La séparation, l’absence, et le chagrin qui s’ensuivit, brisèrent le lien qui me rattachait au monde sensible. Je perdis la pleine conscience de mes propres sensations physiques, retenu captif sur le seuil de l’imaginaire et de la rêverie par un passé-présent étouffant. Cette profonde dysharmonie me déroba jusqu’à la plus insignifiante possibilité d’évasion.
Avec la cruelle et trompeuse complicité de mon regard, mon âme souvenir me donnait constamment à entendre, sur les murs de chaux de l’Alentejo, dans chaque rayon de lumière de Monsaraz et d’Almada, l’écho de mes propres photographies. Mon âme rêve et moi étions doublement prisonniers des jeux de la mémoire. Aux vertiges du souvenir s’ajouta la constante réminiscence, froide et aveuglante, des images que j’avais pu faire d’elle au cours de notre histoire. Double peine pour l’amoureux photographe que j’étais, errant dans un monologue iconographique assourdissant, et qui en vint à haïr ses propres négatifs, jusqu’à son propre regard.
Éléments d’ambivalence, l’eau et le soleil, complices passés de mon désir, devinrent pourtant les seuls à même de me rendre à ma conscience physique. J’ai donc souhaité la lumière plus blanche, pour éprouver mes yeux. L’océan plus salé et le sable plus chaud, pour ressentir mon corps. J’ai souhaité que brûle ma peau au soleil, pour exister au monde, de nouveau.
Il me fallait dépasser la frontière, la faire disparaître, en donnant mes souvenirs en partage. C’est donc à celles et ceux qui lisent ces lignes et qui portent leurs regards sur mes photographies que j’ai confié, en transmission, la chute de ce mur intérieur.
Quand un soir, dans la tranquillité des eaux chaudes d’Alqueva, les dernières lueurs du jour vinrent me caresser les épaules pour me rappeler un court instant à l’existence de mon moi physique oublié, le soleil me chuchota le prénom de l’été au creux de l’oreille. Lumineux et éternel, il résonnait en deux consonnes et deux voyelles.Puissent rêves et souvenirs désormais illuminer mon existence des mêmes rayons de lumière qui me firent l’aimer comme je l’ai aimé.
Je tiens enfin à exprimer toute ma reconnaissance à Eugenio de Andrade qui m’a accompagné dans ce grand voyage, et dont l’œuvre poétique a directement inspiré ce travail. Compagnon d’une autre langue et d’un autre temps, tu semblais me connaître sans que jamais nos regards ne se soient croisés.












